jeudi 12 avril 2012

Une Algérienne invente le voile absolu

Féminisme et islamisme font-ils bon ménage? Une candidate aux législatives algériennes fait campagne, entièrement voilée et avec le portrait de son mari, un islamiste notoire.

Une Algérienne dans un bureau de vote lors du scrutin des législatives de 2007. © REUTERS/Zohra Bensemra

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La femme d’un leader islamiste algérien se présente aux prochaines élections législatives en Algérie. Signe particulier: elle refuse les photos et fait campagne dans les journaux avec… le portrait de son mari. Extrait d’un entretien, véritable morceau d’anthologie d’un discours islamiste féministe qui monte en Algérie.

L’entretien est publié par le journal Echourouk, grand tirage arabophone en Algérie et «organe» du triptyque qui vend le mieux: sexe, fatwas et faits divers trash. Plus que les réponses de la candidate, c’est son choix d’illustrer sa campagne par l’unique photo de son mari, Abdellah Djaballah, qui a provoqué la stupeur.

Djaballah, l’époux-portrait, est un leader islamiste connu, chef de plusieurs partis politiques torpillés, cycliquement, par le pouvoir et actuel leader d’une formation née après l’ouverture post-printemps arabe, le Front pour la liberté et la justice. Pour le scrutin du 10 mai, il a songé à placer sa femme dans la liste d’Alger, la capitale, ainsi que son frère. La raison? La sécurité et la prévention des coups d’Etat interne. Après avoir subi plusieurs trahisons de proches collaborateurs dans d’anciens partis comme Ennahda et El Islah, le leader islamiste a changé de vision concernant la candidature de membres de sa famille, expliquera-t-il au journal en ligne TSA:

«J’étais contre ce principe. Mais, l’expérience a prouvé que Djaballah fut trahi par les plus proches de ses collaborateurs. Il est vrai que je n’ai pas encouragé ma femme et mon frère à se porter candidats, mais je ne les ai pas empêchés pour autant.»

Qui est la femme la plus voilée d’Algérie?

Elle s’appelle Fatima Ismaël. Selon Echourouk, elle ne porte pas le voile intégral mais un niqab avec lunettes et long voile. C’est dire qu’on ne voit pas grand-chose d’elle. Et pire, elle refuse qu’on publie sa photo dans les journaux car elle ne veut pas «devenir une marchandise médiatique», selon ses propos. Du coup, la dame osbcure invente le voile absolu, celui qu’on ne peut même pas voir.

En Algérie, il faut en effet distinguer des «familles» de voilées: le voile hidjab-Rotana désigne ce voile porté par des jeunes filles sur les cheveux, associé à des pantalons jeans taille basse ou ultra serrés. Produit de l’envie de séduire et de l’obligation de se cacher, entre 18 et 30 ans. Rotana est un groupe de chaines de musique, cinéma et show-biz appartenant au Libano-Saoudien Al Walid ibn Talal, l’un des hommes les plus riches du monde.

Vient ensuite le hidjab «normal» avec voile et robe longue. Puis, le voile intégral, alias le hidjab chari, du mot Chari’aa, comprendre : selon la loi de Dieu. Noir, sombre, total. Ensuite vient la burka, bien connue des Français et le burkini, maillot de bain qui cache tout le corps et ses courbes et que les femmes islamistes utilisent pour nager sans être nues. A la fin de cet arbre involutif, vient enfin le voile absolu de Fatima Ismaël: la femme se voile derrière la photo de son mari pour faire campagne électorale.

Qui est la femme masquée?

«J’ai toujours milité au sein du mouvement islamique depuis 1972. Durant mon parcours qui a débuté au lycée et qui s’est poursuivi à l’université, j’ai animé plusieurs conférences dans le domaine de la daâwa, notamment sur le hidjab (voile islamique). Mon parcours dans le militantisme s’est poursuivi après mon mariage», répond Fatima Ismaël.

Comment s’est-elle décidée à se porter candidate? Selon les critères d’une love-story islamiste: «Je vais vous raconter la vraie histoire de ma candidature. Nous étions assis à la maison. J’ai proposé à cheikh Djaballah l’idée de ma candidature. Je lui ai dit que les candidatures sont un droit constitutionnel. Il m’a souri et m’a tout simplement dit: “Oui, pourquoi-pas!”. Sauf que c’est mal traduit: lu en arabe, la phrase est plus comique et rappelle un peu les scènes pédagogiques de la soumission de la femme à son époux: «Ma vie avec le cheikh est saturée de démocratie et de consultation… Je lui ai dit la candidature est un droit constitutionnel, donc je vais me présenter. Il m’a sourit et m’a dit “Fais-le”. Dans le sens tu y es autorisée.

La mode des Miss-islam

C’est une mode effectivement en Algérie durant la campagne électorale. Dans la course, et pour capter les électrices algériennes de la grande famille des islamistes et des conservateurs, il n’y a pas que Djaballah qui a «placé» sa femme.

Selon la presse, Bouteflika a lui-même imposé une autre femme du même «courant» au sein de la liste du FLN, le plus vieux parti algérien, véritable machine à gagner les sièges. Ladite femme s’appelle Asma Benkada, l’ex-épouse du cheikh pan-islamiste et président de la puissante Union internationale des savants musulmans, et qui vient d’être déclaré persona non grata par le président français, Nicolas Sarkozy, qui lui a fermé les frontières de la France après l’affaire Mohammed Merah.

L’autre femme voilée, symbole de la «famille» est Naïma Madjer, ancienne star algérienne du journal télévisé durant les années 80 et… sœur du footballeur international Rabah Madjer, ancien du FC Porto, cinquième meilleur joueur africain du siècle.

Fatima peut-elle parler aux hommes?

«Aux hommes comme aux femmes. Aux temps anciens, les femmes d’adressaient directement au prophète», répond la femme masquée par son homme.

Dans la version non traduite de l’entretien (Echourouk veille à cloisonner ses lectorats des deux langues par des traductions filtrées), Fatima répond à une question sur la polygamie supposée de son Cheikh d’époux:

«Que la femme qui possède l’adresse de la seconde épouse de mon mari me l’a donne. Je féliciterai ma concurrente pour avoir épousé l’homme le plus vertueux qui soit.» Avis aux autres femmes masquées.

Et pour la photo?

«Je ne suis pas contre l’idée de la photo, par extrémisme. Même chez moi, à la maison je refuse qu’on prenne des photos de moi.»

Et donc, pour la campagne électorale? Réponse abyssale:

«Si les gens veulent voter pour Fatima Ismaël, ils le feront pour ses idées, pas pour son portrait.»

Pour clore le sujet, la dame invisible demande à ce que l’entretien soit illustré avec le portrait de son… mari. On ne sait cependant pas comment va faire Fatima si elle est élue, face aux caméras, caméras de surveillance, journalistes…etc. La question est de fond: peut-on représenter un peuple qui ne vous représente pas?

Peut-on être élu avec la photo d’une autre personne? La loi algérienne ne dit rien dans ce sens. Fatima Ismaël s’en charge, apparemment. Avec surréalisme, qui rime avec islamisme.

Kamel Daoud

Lu sur Slate Afrque

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