vendredi 16 mars 2012

Maroc : le suicide d'Amina Al Filali suscite un débat national sur le viol et le droit des femmes

16/03/2012 à 09h:37 Par Jeune Afrique

Hamida Al Filali brandit le portrait de sa soeur lors d'une manifestation à Larache, le 15 mars. Hamida Al Filali brandit le portrait de sa soeur lors d'une manifestation à Larache, le 15 mars. © AFP

Le suicide d'Amina Al Filali, une jeune Marocaine forcée d'épouser son violeur, a suscité un profond émoi au Maroc. Médias, blogosphère, politiques... La journée de jeudi a été marquée par un débat d'une ampleur sans précédent sur le viol et la place de la femme dans la société.

À l'heure du Printemps arabe et des réseaux sociaux, il est des faits de société qui ne peuvent plus passer inaperçus. La nouvelle du suicide d'une marocaine de 16 ans, Amina Al Filali, qui voulait échapper au mariage avec son violeur a ainsi provoqué jeudi un débat national d'une ampleur sans précédent au Maroc. Face à l'émotion suscitée par le drame, le gouvernement a même consacré la plus grande partie de sa réunion hebdomadaire à une affaire qui, - au-delà de l'aspect humain - porte également préjudice à l'image du Maroc à l'étranger.

« Cette fille a été violée deux fois, la dernière quand elle a été mariée », a indiqué Mustapha El Khelfi, le porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication. « Il faut étudier d'une manière approfondie cette situation avec la possibilité d'aggraver les peines dans le cadre d'une réforme de l'article [475 du code pénal, NDLR]. Nous ne pouvons pas ignorer ce drame », a-t-il ajouté.

Mort aux rats

Le ministre faisait référence à l'article du code pénal qui permet à un violeur d'épouser sa victime pour échapper à des peines pouvant aller jusqu'à 20 ans de prison ferme. Ce fut le cas de Amina Al Filali, qui s'est suicidée samedi dans sa ville de Larache, près de Tanger (nord), en absorbant de la mort aux rats, après avoir été contrainte d'épouser l'homme qui l'avait violée quand elle avait 15 ans.

Au Maroc, l'ampleur du phénomène du viol est difficile à cerner car les statistiques dans ce domaine sont quasiment absentes. Le tabou concernant ce type d'agression, la difficulté pour les victimes de porter plainte et les arrangements familiaux fréquents – d'un côté pour laver le déshonneur du viol et, de l'autre, pour échapper à la prison - ont en quelque sorte rendu ce drame presque indicible dans la sphère publique. Le geste désespéré de Amina Al Filali le fait apparaître dans toute sa cruelle réalité, provoquant un électrochoc dans le pays.

Le drame intervient en outre alors que le gouvernement de l'islamiste Abdelilah Benkirane ne compte qu'une seule femme, qui détient en outre le portefeuille de la Solidarité, de la Femme et de Famille, Bassima Hakkaoui. Sur la chaîne de télévision publique 2M, qui consacrait jeudi la quasi totalité de son journal de la mi-journée à l'affaire, celle-ci a reconnu un « vrai problème » et préconisé un « débat pour réformer cette loi ».

"Un cri de la société"

« C'est un cri de la société » a lancé, toujours sur la chaîne publique, Nouzha Skalli, qui occupait le même ministère dans le précédent gouvernement. « La loi considère la mineure violée comme une criminelle bien qu'elle soit victime de la violence », a-t-elle fustigé, regrettant « l'absence de protection en faveur des mineurs. (...) Il faut réformer le code pénal afin de l'adapter à la nouvelle Constitution qui interdit la violence contre les femmes et assure l'égalité des sexes », a-t-elle ajouté. En 2011 au Maroc, une femme sur six avouait avoir été recemment l'objet de violences.

Cette fois, la blogosphère et les médias se sont emparés de l'affaire. Intitulée « Nous sommes tous Amina Al Filali », une pétition pour l'abrogation de « l'article criminel » a été mis en ligne sur Facebook. « Au delà de l'aspect législatif, c'est une affaire de mœurs, de perception de la femme-objet qui perdure, du manque d'éducation à proprement parler et d'éducation sexuelle notamment », estime le quotidien francophone L'Économiste. Mais le Maroc n'est pas le seul pays du monde ni du Maghreb dans cette situation. La Tunisie et l'Algérie notamment, sont sujets aux mêmes pratiques.

(Avec AFP)

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