jeudi 8 mars 2012

Les droits des femmes sont-ils en danger en Tunisie?

SophieBessis

Par SophieBessis (Express Yourself), publié le 08/03/2012 à 09:18, mis à jour à 10:38

On ne le répètera jamais assez: dans la révolution tunisienne, comme dans les autres mouvements qui secouent le monde arabe depuis le début de l'année 2011, les femmes ont joué un rôle de premier plan.

[Express yourself] On ne le répètera jamais assez: dans la révolution tunisienne, comme dans les autres mouvements qui secouent le monde arabe depuis le début de l'année 2011, les femmes ont joué un rôle de premier plan. Dès avant le soulèvement, leurs associations prenaient une part active dans la lutte contre la dictature, estimant qu'il ne peut y avoir de citoyenneté véritable, pour les femmes comme pour les hommes, dans un régime autoritaire, et que la plénitude des droits de tous ne peut s'exercer qu'en démocratie.

Il n'est pas sûr que les femmes cueillent les fruits des fleurs qu'elles ont contribué à faire éclore lors des printemps arabes

Pourtant, il n'est pas sûr que les femmes cueillent les fruits des fleurs qu'elles ont contribué à faire éclore lors des printemps arabes. Les évolutions en cours suscitent en effet des inquiétudes, en Tunisie peut-être plus encore que dans le reste de la région. Non que le pays qui a donné au monde arabe le signal de la révolte soit plus exposé que ses voisins aux restaurations conservatrices susceptibles de suivre l'euphorie de la libération, mais parce que les femmes y ont davantage de droits et qu'elles ont donc beaucoup à perdre de l'arrivée au pouvoir d'un parti à l'idéologie ouvertement réactionnaire.

Signaux contradictoires

La période de transition qui s'est déroulée du 14 janvier 2011, date de la chute de la dictature, au 23 octobre, jour des élections, a envoyé aux femmes des signaux contradictoires. Leur présence n'a cessé de s'affirmer dans la société civile. En obtenant que le code électoral rende obligatoire la parité sur les listes de candidats, elles ont remporté une belle victoire. Mais, en négatif, le gouvernement de transition était presque exclusivement masculin, de même que la majorité des institutions chargées de gérer la transition. Quant à la parité, elle s'est révélée largement symbolique puisque les femmes n'ont représenté que 7% des têtes de listes aux élections et qu'elles ne sont aujourd'hui que 23% des députés de l'Assemblée constituante. Ce n'est pas si mal à l'aune des médiocres performances mondiales, c'est décevant au regard des espérances.

Sonder le degré de réceptivité de la population aux thèses conservatrices

D'autant que les enjeux sont considérables. Les nouveaux élus, parmi lesquels le parti islamiste Ennahdha - qui a formé le gouvernement - est majoritaire, ont pour mission de rédiger une Constitution. Reviendra-t-elle sur le socle moderniste qui est au fondement de l'Etat tunisien contemporain, et qui repose entre autres sur une législation familiale d'inspiration libérale et sur l'absence de toute référence à la Charia dans la loi ? Depuis quelques mois, les alertes se multiplient : ministres et responsables contestent les dispositions légales existantes, en particulier sur l'adoption ou la monogamie, stigmatisent au nom de l'ordre moral les mères célibataires, comme pour sonder le degré de réceptivité de la population à leurs thèses et jauger la capacité de réaction de la classe politique et de la société. Pire, ils observent pour la plupart un silence assourdissant devant les exactions des groupes salafistes, dont la misogynie est un des fonds de commerce et qui montrent en toute impunité leur capacité de nuisance.

Dans ce contexte, les droits des femmes sont-ils en danger en Tunisie ? Oui, sans aucun doute. Une partie de la population gagnée aux idées conservatrices et formatée depuis des années par la propagande des chaînes satellitaires arabes a déjà modifié ses pratiques sociales et ne trouverait rien à redire à un recul de la loi. Mais il ne faut pas sous-estimer non plus la profondeur du processus de sécularisation de la société tunisienne depuis un demi-siècle et le refus d'une partie non négligeable de la population de le remettre en cause.

L'égalité, en particulier celle des sexes, est l'indispensable corollaire de la démocratie. C'est à cette aune qu'il faudra juger de la capacité ou non du parti majoritaire à s'y convertir.

Par Sophie Bessis, historienne franco-tunisienne, secrétaire générale adjointe de la FIDH (Fédération internationale des droits de l'homme).

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