jeudi 26 janvier 2012

La femme : espoir de l’Afrique

mardi 21 février 2006

Un texte de Felicia Bilgho sur le statut social de la femme en Afrique et son rôle dans le développement.

LA FEMME : ESPOIR DE L’AFRIQUE
Félicia BILGHO (Burkina Faso)
email Feliciabilgho@aol.com

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Identifier la femme comme espoir de l’Afrique, dans un contexte où ce continent confronté à la fois aux tensions politiques et économiques, aux poussées endémiques et épidémiques, est communément admis comme malade, consisterait à postuler l’hypothèse que la femme serait la réponse, à la problématique du développement.

Cependant, la considération de spécificités contextuelles, relatives au système de représentation, à l’organisation sociale, au statut de la femme oppose à cet enthousiasme expansif un procès social complexe. En ceci, semblent se déterminer les difficultés d’évaluation du rôle de la femme dans le changement social. Celle-ci, tour à tour, attributaire de fonctions de production, de reproduction, ou communautaire, est en réalité soit occultée comme actrice de développement, soit surdéterminée dans sa capacité à générer une dynamique globale de transformation. Ces deux dimensions, ambivalentes, seront abordées au fil de notre réflexion, au travers de la hiérarchisation idéologique de l’activité féminine.

Le rôle productif distribué à la femme, sur cette échelle, porte un attribut négatif. Caractère qui émerge d’une construction invalidante d’un ensemble d’activités qu’accomplit la femme. En l’occurrence s’agit-il des fonctions maternelles et domestiques. Concernant la femme occidentale autant que celle africaine, elles ont une coloration locale déterminée par les interactions avec l’environnement et la culture. Ainsi, en Afrique où l’usage d’outils rudimentaires pour la transformation des aliments est courant, la répétitivité et la pénibilité des gestes sont accentuées. En outre, elles sont parfois prolongées par de longues heures de marche, aux fins de collecter de l’eau ou de ramasser du bois.

Autant d’obligations qui, assumées successivement ou simultanément pour économiser du temps, n’ont pas moins d’incidence sur la longueur de la journée d’activité de la femme africaine. Estimée de quatorze (14) à seize (16), elle n’est pas intégrée dans le registre du travail. En effet, l’idéologie dominante ne conçoit comme travail que l’activité rémunérée. De fait, même si la femme est en mouvement continu, en quête de satisfaction des besoins primaires de son unité familiale, son action est paradoxalement invisible, non seulement parce qu’elle ne comporte pas de rentabilité économique, mais aussi parce que la femme est encore aujourd’hui culturellement perçue davantage comme un produit qu’un producteur. L’activité reproductive, étant disqualifiée à participer aux mécanismes de production économique, en dépit de son utilité, il demeure en conséquence difficile d’établir un lien significatif entre espace domestique et espace de développement. Le postulat de départ accordant à la femme africaine un rôle moteur dans l’évolution du continent s’en trouve décrédité.

Entre ses activités reproductive et productive, la frontière n’est pas toujours clairement identifiable ; le travail non marchand et le travail marchand pouvant s’imbriquer dans les mêmes tâches. Une telle caractéristique impose de considérer la fonction productive de la femme africaine en relation avec les pratiques sociales. Elles sont plus ou moins contraignantes selon la proximité que les populations entretiennent avec les normes traditionnelles de régulation sociale.

Le milieu urbain, vecteur de pratiques syncrétiques, laisse davantage d’autonomie et de pouvoir aux femmes. Un signe en est la possibilité, pour certaines d’entre elles, d’occuper des espaces politique ou économique importants. On citera le rôle des « opératrices économiques » dans différents pays d’Afrique et particulièrement celui des « Nanas Benz » dont l’activité, organisée autour du commerce des pagnes de la marque « Wax hollandais » leur donne une puissance économique reconnue outre frontières. Une puissance à double titre intéressante :
- elle libère ces femmes et leurs époux de certaines croyances, en favorisant parfois une inversion des rôles
- elle suscite la mise en œuvre de réseaux par les transactions de demi-gros ou détail, profitables pour une catégorie importante d’acteurs. Ces réseaux, davantage objet des initiatives individuelles que celles des « Nanas Benz », s’insèrent dans un contexte continental où l’activité commerciale est le mode de travail le plus couramment pratiqué par les femmes. A ce registre s’ajoutent les activités salariées dans les domaines public ou privé, touchant une minorité de femmes mais dont le profit s’étend au-delà de la famille nucléaire.

En milieu rural, l’activité commerciale, également pratiquée, est généralement organisée autour de produits de pêche, d’arboriculture, d’agriculture. Une coopération est souvent nécessaire avec les hommes pour la réalisation de ce travail. En réalité, elle est révélatrice de rapports de pouvoir dans lesquels l’autonomie des femmes est affaiblie.

Dans le domaine de la production agricole, on peut retenir les problèmes d’accès à la terre. Dans certains groupes ethniques, à l’instar de la femme mossi (ethnie majoritaire) du Burkina Faso, en dépit de normes nationales d’appropriation et d’exploitation de la terre, par le biais de la réorganisation agraire foncière (RAF), préconisant un égal accès au domaine foncier pour les hommes et les femmes, on constate que la femme en est écartée par le système de régulation de la parenté et d’organisation des alliances matrimoniales. Dans le premier schéma, « la fille de », en attente de devenir « la femme de » porte un statut provisoire. Dans le second cas, elle parfait un statut d’étranger à la faveur d’un système de parenté se transmettant unilatéralement en ligne masculine. Deux considérations qui la retiennent à distance du système de transmission des biens.

Ainsi affiliée à une formation sociale rigoureusement hiérarchisée dans laquelle son statut de personne est subordonné à celui de l’homme, la femme, en matière d’accès à la terre, est contentée d’attribut d’usufruitière d’une petite parcelle. Celle-ci allouée par l’agrégat familial est affectée à la production de légumes destinés à la consommation domestique et la commercialisation informelle.

La coercition des règles endogènes au patrilignage agit sur les rapports exogènes de la femme à la société globale, en grossissant ses difficultés d’accès aux intrants agricoles, aux micro-crédits à la faveur desquels elle pourrait améliorer sa productivité ou mettre en œuvre des projets individuels. La femme, dans ce domaine, on le constate, est entravée dans ses potentialités d’actrice économique par le dispositif des normes collectives. Des pesanteurs, progressivement contournées par des improvisations trouvant place dans une forme de gestion dite communautaire et qui se destine à couvrir l’aspect collectif de la production.

Le rôle de gestion communautaire de la femme, perçu bien souvent comme une extension de sa fonction domestique, prend en Afrique une dimension contextuelle de réponse à la défaillance de l’Etat (accentuée par les vagues des programmes d’ajustement structurel) dans des secteurs essentiels tels que la santé l’éducation, l’alphabétisation. Elle se décline sous une multitude d’actions : construction d’école, sensibilisation à la scolarisation des filles, aménagement de cantines scolaires, lutte contre la malnutrition et le VIH, développement de l’artisanat… Pour l’exercice de ces activités communautaires, dans lesquelles des femmes prennent des responsabilités ou des engagements, elles s’appuient sur des réseaux traditionnels d’alliance de voisinage, de quartier, mais aussi sur de groupements féminins, des associations, financés par des bailleurs de fonds étrangers, trouvant en elles « la clé » du changement social.

L’intérêt investi dans la mobilisation de femmes par des agents exogènes semble se fonder sur un discours commun, accordant l’attribut de travailleuse à la femme, et à l’homme un statut quasi parasitaire. Ce postulat, alimenté par de variables objectives à l’instar de la longueur de la journée de travail de la femme, construit à partir d’une vision ethnocentrique du monde, en disqualifiant l’homme du processus de changement, entretient une opposition absolue entre l’homme et la femme. Il suggère l’idée d’une transposition de la femme modèle de développement du bien être dans le cadre de l’unité familiale à la femme archétype d’innovation et de mutation à la dimension de l’Etat-nation.

Dans ce mode d’appréhension des rapports sociaux ne sont pas prises en considération la division sexuelle du travail et la connotation symbolique que véhiculent certaines tâches réputées périlleuses pour la masculinité de l’homme. Celle-ci interpelle sa capacité à procréer, à transmettre un nom et par conséquent au-delà de l’entretien de la pérennité du patrilignage, à conserver un lien entre le monde des vivants et le monde des morts, dans un processus d’échanges. La division sexuelle des tâches, plus qu’une affaire domestique, se rapporte à la sécurité du groupe. Par une telle structuration sociale, la femme est assujettie à des fonctions limitant sa liberté et sa créativité en matière de progrès.

Ces considérations ne dispensent pas de penser les femmes, comme actrices incontournables dans les projets de développement. Ce sont des actrices qui ont des besoins spécifiques, différents de ceux des hommes, selon le genre comme épouses, comme mères. Des actrices qui ne gagnent pas à être identifiées en opposition constante avec les hommes. Par exemple, dans un programme de planification familiale, même s’il paraît évident que la femme est le premier sujet visé, l’homme ne devrait pas en être exclu, en raison de la conception cosmogonique du monde qui leur est propre. Dans certaines formations sociales, elle place la femme à l’égard de l’enfant à naître, non pas dans un rapport d’appropriation, mais de confiage, à l’égard de son corps biologique dans un rapport de subordination au mari, au corps social. A cet effet, l’appréciation de l’homme et de la femme comme sujets d’information et de sensibilisation est pertinente pour les effets principalement bénéfiques à cette dernière. Il est déductible que l’homme en étant sujet ou acteur, peut être un instrument de progrès pour la femme ou pour le groupe entier. Autant il importe de ne pas discréditer ce statut de l’homme, autant il compte de reconnaître celui de la femme, en le revalorisant, en lui restituant le qualificatif d’acteur, tout simplement de personne. Or la surdétermination de la femme par un certain discours développementaliste dans le processus de changement social, en apparence, ségrégé du système de pensée dominant qui la sous évalue en est, en définitive, la reproduction superlative. Envers d’un même décor idéologique, ce discours ne déconstruit pas en conséquence les violences symboliques que subit la femme africaine.

Retenons simplement l’impératif que la femme soit considérée comme une personne, comme une actrice. La cognition d’une telle détermination porte à penser que ses activités ne doivent pas être uniquement circonscrites en termes d’opposition à celles de l’homme, mais sous l’angle d’une complémentarité différenciée ; activités dont la dynamique, pour dépasser une portée paradigmatique improductive, doivent être insérées dans une politique gouvernementale, cohérente de gestion des biens et des personnes.

Bibliographie indicative

Willy RANDIN, Femmes sources de progrès, sud : des actes concrets, éd. Favre, 2004

Cahiers Genre et Développement N°1 : Le genre : un outil nécessaire, introduction à une problématique, dir. J. Bisilliat et C. Verschuur, L’Harmattan, 2000

La notion de personne en Afrique noire, Collectif, éd. L’Harmattan, 1993

UNICEF : Analyse de la situation de femmes et des enfants au Burkina Faso, nov. 1994

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